Récits et réflexions sur l’explosion de Beyrouth

La poussière est retombée, le temps de la réflexion n’est pas encore arrivé mais on a déjà des récits crédibles, cohérent, sans complot ni attentat, de l’accident : un trou dans un hangar métallique, un gars envoyé le réparer à la soudure sans être prévenu de ce qui y était stocké dans des conditions de sécurité nulles : du nitrate d’ammonium, qualité AA.

Ce produit est un engrais mais aussi un explosif puissant selon la pureté et le format : poudre, granule, etc.. Les sacs photographiés sur place peu avant l’incident identifiaient la qualité AA, soit le format le plus “explosif”. Sous le forme d’engrais, il a été utilisé pour un attentat d’extrême-droite aux USA en 1995. Sous le format AA, il est utilisée couramment pour l’exploitation de carrières. Dans cette qualité, il explose violemment à la chaleur et à la pression. Un incendie puis une première explosion ont eu lieu, peut-être dans un stock de feu d’artifice dans le hangar d’à coté : en tout cas des photos montrent des éclats de lumière qui y ressemblent.

Ces pré-événements ont servi de détonateur à l’explosion de la quasi-totalité des 2.700 tonnes de nitrate d’ammonium avec les résultats que l’on connaît : 130 morts, 80 disparus, des centaines de blessés et des milliards de dégâts dans un pays déjà ravagé par une formidable crise économique et la corruption. Cette dernière est liée au moins partiellement à son statut de plate-forme mondiale d’argent noir qui lui vaut d’être surnommé “la Suisse du Moyen-Orient”. Au surplus, il est assommé par des sanctions aussi USAméricaines qu’immorales et injustes visant le Hezbollah, une organisation qui représenterait 1/3 de la population libanaise selon les déclarations du Président du Liban à Paris-Match en 2017. Bref, ils ne sont pas sortis de l’auberge.

La raison du stockage de ce produit hyper dangereux en plein cœur de la ville est en fait multiple mais trop classique, hélas : un cargo caboteur qui fait escale à Beyrouth et est arrêté car défectueux. La cargaison saisie. Un imbroglio judiciaire, en partie lié à l’amateurisme de l’armateur, en partie à la situation chaotique au Liban. Des autorités judiciaires n’appréhendant pas le risque couru et des autorités portuaires dépassées. Bref, du tout venant même pas spécifiquement libanais.

Quelques fausses notes dans ce récit bien rôdé : Trump, évidemment, qui parle d’un attentat possible mais il est rapidement contredit par tout le monde, y compris chez lui. Quelques hurluberlus, d’habitude fiables, qui n’ont pas peur d’une 3e détonation encore pire, y voient le résultat d’un affrontement Israël-Hezbollah. Cette rumeur est taillée en pièce par tous les gens un peu sérieux en posant deux questions simples : “qui bono ?” donc quel serait le sens ou le message d’une attaque israélienne dans ce cas et pourquoi le Hezbollah irait-il stocker des explosifs en plein Beyrouth c’est à dire loin de ses bases, sous surveillance vidéo de gens qui lui sont pas spécialement favorables.

Cette hypothèse d’attentat extérieur viendrait pourtant de recevoir un support inattendu: le Président du Liban, Michel Aoun, chrétien maronite et allié du Hezbollah depuis longtemps, évoque une possible attaque de missile, donc des israéliens, dans le Parisien. Pourquoi là ? Peut-être pour la même raison pour laquelle le très médiatique (en France) Romain Caillet utilise une chaîne israélienne pour sourcer une déclaration du chef du Hezbollah : “parce que !”, comme dit Nidal 🙂

Pour qui s’intéresse à l’actualité des médias, il est intéressant de noter que le compte-rendu à la fois le plus fidèle, le plus complet et le plus prompt sur cet évènement est une fois encore celui de Moon of Alabama, le 5 août (date du site américain) soit au moins 12 heures avant tout le monde. Cela conforte mon opinion favorable à leur égard : ce qu’ils disent et prédisent a rarement été contredit par les évènements ultérieurs. Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais et n’ont pas peur des émanations, une traduction de l’article du 5 a été réalisée à 14:00 du même jour par le Saker.

Plus spécialisée, LA source fiable et (pas trop) abondante en français sur le Liban est évidemment Nidal que j’ai abondamment cité ici. Merci à lui.

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