Les dérives commerciales de la psychologie moderne sauce satire. Ou pas.

Notre équipe a décidé de se pencher sur le très branché “PsyThérapy” (nom fictif) qui semble bien représentatif des nouvelles tendances de ce qu’il faut bien appeler le marché de la psychologie. Celui-ci est un superbe cabinet de psychologie, multi-thérapeutes de 250 m2 qui aurait été situé à Harley Street si cette rue accueillait des commerciaux et pas des docteurs. Le tout couronné par un nom qui fleure bon le marketing moderne comme le confirme son site internet qui transpire le professionnel de la communication. C’est aussi une SPRL. Ou une SA voire une Ltd, pourquoi pas. Ici le maître-mot c’est “pluridisciplinarité”, en effet.

L’équipe pluridisciplinaire (elle aussi) du “bilan d’orientation” tant vantée sur le site internet c’est un psychiatre seul et figé comme un cardinal qui a reçu notre testeur 16′ chrono après 17′ de retard avec comme seule excuse “je viens d’arriver”. Très crédible : notre patient-test a fini par devoir s’imposer à sa porte en profitant de la fin d’une réunion parce qu’au-delà d’un quart d’heure d’attente, ça commençait à faire long. D’autant que dans la salle d’attente bondée (qui a éternué Covid ?), il y avait un autre “client” qui déjà avait attendu une demi-heure chrono pour une autre thérapeute. Pas d’excuses là non plus. Ça doit être la psychologie moderne.

Le bon docteur a fait payer 50 € cette séance, “remboursé 39 € par la sécurité sociale”. Il a insisté là-dessus avec le ton réjouit de celui qui fraude couramment ses impôts. Pas de questions sur le choix possible d’une visière à la place du masque buccal pendant l’entretien, tel que promis sur internet : tous les 2 masqués, point. Pour une thérapie, ça met l’ambiance ! Notons, qu’il ne portait son masque qu’avec les patients : avec sa collègue ou employée qui nous avait précédée dans son bureau, pas de masques, ni l’une ni l’autre ! Bonjour les aérosols pour le visiteur suivant dans ce bureau aux fenêtres fermées.

Les deux interlocuteurs étaient face à face autour de son bureau. Le patient potentiel sur une chaise, le thérapeute dans un magnifique fauteuil managérial, masqués, de part et d’autre d’un mini-hygiaphone improvisé. Les 3 somptueux fauteuils qui occupaient le tiers de la pièce autour de la table basse siglée derrière eux étaient sans doute réservés aux gens importants, genre son banquier ou le publicitaire qui lui avait pondu le nom et le site internet de sa société. Ambiance (bis).

Passons à l’acte médical. D’abord écouter (ou pas, comme nous le verrons) notre patient-test parler de sa dépression chronique à forte tendance suicidaire, avec hospitalisations, pendant 7′ sans aucune interaction de sa part. Ensuite le baratiner pendant 9 minutes chrono, en utilisant les faiblesses que celui-ci lui avait exposé juste avant (déonto… quoi déjà ?), sur 1° “une thérapeute formidable qui vient d’Amérique du Nord” à qui il voulait le confier et dont c’est justement la spécialité. Elle s’est fixée ici car “elle a rencontrée l’amour” (sic) affirme-t-il avec un sourire de contentement qui le trahit un peu. Nous y reviendrons. 2°, sur cette même Amérique où “se développent les seules méthodes thérapeutiques qui ont des effets scientifiquement reconnus” à grand coup de lancement de names (sic) car le français, ça fait Vieux Continent. Enfin, 3° sur la “troisième vague cognitivo-comportementaliste ultra-moderne” qu’il propose.

Pour situer un peu les psychologies comportementalistes importés direct des USA, c’était déjà dans les cours de journalisme des années 1980 et nous ne vous parlons pas de ceux des médecins. Là, il l’a juste remodelé pour que ça fasse savant éclairé et pas Krishna de seconde main.

Il n’a pas demandé ce que notre patient-test pensait de cette méthode thérapeutique quand même contestée en Europe pour sa philosophie lourdement néo-libérale, ni s’il avait des questions, ni du fait qu’on ne lui proposait qu’une seule personne “qui est très prise et ne pourra vous recevoir que dans le courant du mois d’août, peut-être (sic)”. “I beg your pardon !?” comme dirait un anglais formaliste.

Même comportement pour une formation de “Méditation Pleine Conscience“(MPC) qui vient en supplément car “elle entraîne la nécessaire plasticité de l’esprit, etc…”. C’est énoncé comme une évidence sans même poser LA question fondamentale de la MPC : “êtes-vous capable d’auto-apprentissage seul de 40′ par jour ?” ce qui vu le profil annoncé de dépressif profond était quand même une éventualité à étudier sérieusement.

Notons enfin que la MPC a une contre-indication majeure très connue : les dépressions à tendances suicidaires, tel qu’en présentait notre patient-test, où elle entraîne un gros accroissement du risque de “passage à l’acte”, c’est à dire de suicide, pour parler simplement. Quand on vous parlait d’écoute et d’empathie… Mais, c’est vrai, ça gâche le commerce.

Pour la MPC, comme pour la thérapie, un seul nom est proposé. Son “énorme équipe de 25 personnes”, pour notre patient c’était juste ces 2 noms et il a fallu insister pour qu’il écrive les N° de téléphone, sinon : “c’est sur le site internet”. Notre “thérapeute” n’a jamais dû entendre parler de la fracture numérique ou des problèmes de communication de patients phobiques, visiblement. “Vous lui téléphonez” pour la première et pour l’autre : “vous lui envoyez un sms et on reprendra contact en septembre car on s’est arrêté 18 mois pour cause de Covid”. Il ne l’a pas dit mais il est probable qu’avec les arriérés de la liste d’attente de 18 mois, on sera plutôt à l’été 2022… Si tout va bien.

Notre testeur a fini par (im)poser d’autorité dans la conversation la question taboue : “COMBIEN ?”. Réponse restée dans le vague : “dans la cinquantaine d’€ par séance, vous verrez”. Pas de remboursement de la SecSoc, là. Pas de question sur le statut socio-économique du patient et sa capacité de paiement non plus.

Plus troublant : une autre personne avec des troubles obsessifs compulsifs (TOC) reconnus est passée quelques jours plus tard chez ce que nous devrons finir par appeler un margoulin. A priori rien à voir avec le précédent qui était dépressif profond, tendance suicidaire. Même scénario, même comportement de “l’orienteur” et… même sélection unique : la thérapeute “spécialisée”, cette fois en TOC, dont il a été question précédemment. Vous savez celle qui semble bien être son épouse. Déonto… quoi déjà ? (bis ou ter, à ce stade on ne sait plus). Était-ce pour cela qu’il renaudait à écrire lui-même les noms des thérapeutes prescrits ?

A part ça, notre premier patient-test, suicidaire, s’était présenté comme étant sur le point d’acheter du Nembutal sur internet pour… une sortie définitive. Bof, “on va laisser ça à votre psychiatre, c’est son affaire”. Ah !? “L’affaire” du gars qui utilise des méthodes “non-scientifiquement prouvées” mais qui va être chargé de le garder en vie jusqu’au moment où quelqu’un de chez lui sera disponible pour encaisser (l’argent, pas les soucis. Où vous allez, vous ?). Là non plus, pas de place pour les questions sur son accord ou celui du-dit psychiatre ou de sa disponibilité. Manque d’empathie ou de déontologie ? Les deux, mon général !

Avant de conclure, notons que la prévention anti-Covid des patients amène un beau zéro pointé ! Sur le site internet, un pop-up vous jette en pleine figure un truc style “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil”. Dans la réalité, certains patients, -visiblement perturbés comme il est normal dans ce genre d’endroit- ne portent pas de masque ou mal dans la petite salle de (longue) attente où il y avait en permanence de 3 à 5 personnes. Il n’y avait pas de gel hydro-alcoolique à disposition contrairement à ce qui est proclamé sur le site internet, ni d’obligation de se laver les mains. Où ça, d’ailleurs ? Aération des locaux : aléatoire. Un patient légèrement claustrophobe avait ouvert une fenêtre dans la salle d’attente et la monopolisait ; ailleurs dans la société, tout est aussi fermé que notre interlocuteur.

Pour faire bonne mesure, concluons sur les énormes qualités de ce thérapeute. Louons sa pluridisciplinarité à lui tout seul (technico-commercial, psy, bilan-orienteur, gestionnaire…) en ajoutant que c’est bien la première fois qu’un vendeur parvient à nous faire payer pour l’écouter débiter son argumentaire. Tupperware se limitait à vous faire payer le local et l’accueil. Il n’y a que la Scientologie qui arrive à aller encore plus loin mais notre homme se classe quand même bien pour un indépendant. Gageons qu’il va sûrement s’améliorer, il en a la volonté !