Noam Chomsky : « Les fous sont devenus les maîtres de l’asile » (extrait)

Source : Tom Dispatch, David Barsamian, Noam Chomsky
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Barsamian : Qu’en est-il de ce qui se passe dans le secteur bancaire, compte tenu de l’effondrement de la Silicon Valley Bank, puis de la Signature Bank et des problèmes de la First Republic Bank ?

Chomsky : Tout d’abord, je ne prétends pas avoir d’expertise particulière en la matière, mais ceux qui en ont, des économistes sérieux et honnêtes, comme Paul Krugman, disent très simplement : nous ne savons pas. Cela remonte à près de 45 ans, quand il y avait une réelle vogue de la déréglementation. En déréglementant la finance, on passe à une économie basée sur la finance, tout en désindustrialisant le pays. C’est grâce à la finance qu’on gagne de l’argent, ce n’est pas en construisant des choses – il s’agit d’entreprises risquées qui sont très rentables mais qui conduiront à un krach, et l’on demande alors au gouvernement, c’est-à-dire au contribuable, de renflouer les caisses.

Il n’y a pas eu de crise bancaire majeure dans les années 1950 et 1960, période de forte croissance, parce que le département du Trésor a gardé le contrôle du secteur bancaire. À l’époque, une banque n’était qu’une banque. Vous aviez un peu d’argent en trop, vous le mettiez là. Quelqu’un venait et empruntait cet argent pour acheter une voiture ou envoyer son enfant à l’université. C’était ça la banque. Les choses ont commencé à changer un peu avec Jimmy Carter, mais c’est Ronald Reagan qui a déclenché l’avalanche. Des gens comme Larry Summers ont dit qu’il fallait déréglementer les produits dérivés et tout ouvrir. Les crises se sont succédé. L’administration Reagan s’est terminée par l’énorme crise de l’épargne et du crédit. Une fois de plus, on fait appel au gentil contribuable. Les riches gagnent beaucoup d’argent et les autres paient les frais.

C’est ce que Bob Pollin et Gerry Epstein ont appelé « l’économie de renflouement ». La libre entreprise, cela veut dire que vous gagnez de l’argent aussi longtemps que vous le pourrez, jusqu’à ce qu’une crise survienne et que le public vous renfloue. La plus importante de celles-ci a eu lieu en 2008. Que s’est-il passé ? Grâce à la déréglementation de produits financiers complexes, tels que les produits dérivés, et à d’autres initiatives de Bill Clinton, le secteur de l’immobilier s’est effondré, puis celui de la finance. Le Congrès a certes adopté une loi, le plan Paulson ou TARP, qui comportait deux volets. Premièrement, il s’agissait de renflouer les escrocs qui avaient provoqué la crise en accordant des prêts hypothécaires à risque, des prêts dont ils savaient qu’ils ne seraient jamais remboursés. Le deuxième volet consistait à faire quelque chose pour les gens qui avaient perdu leur maison, qui avaient été jetés à la rue à cause des saisies immobilières. Selon vous, quel est le volet que l’administration Obama s’est empressée de mettre en œuvre ? Cela a été un tel scandale que l’inspecteur général du département du Trésor, Neil Barofsky, a écrit un livre pour dénoncer ce qui s’était passé. Cela n’a pas eu d’effet. En réponse, de nombreux travailleurs qui avaient voté pour Obama en croyant à son discours d’espoir et de changement sont devenus des électeurs de Trump, se sentant trahis par le parti qui prétendait les défendre.