Près d’un musulman sur deux vivant dans l’Union Européenne est victime de racisme au quotidien. C’est le résultat d’une étude de l’Agence européenne des droits fondamentaux menée dans 13 pays, dont la France, et publiée ce jeudi 24 octobre. Elle a mesuré que 47% des musulmans interrogés subissent des discriminations au quotidien.
Selon la porte-parole de cette institution, le phénomène s’est «aggravé» ces dernières années : en 2016, les personnes musulmanes qui se disaient victimes de racisme dans leur vie quotidienne s’élevait à 39%. Il est donc «de plus en plus difficile d’être musulman dans l’UE», et c’est en partie lié à la «rhétorique déshumanisante» qui vise la communauté musulmane.
L’Agence européenne des droits fondamentaux note également que depuis le 7 octobre 2023 et le génocide en cours à Gaza, il y a «un pic de haine contre les musulmans».
Ce racisme s’exprime sur plusieurs plans : sur le marché de l’emploi, dans la recherche d’un logement, où l’étude constate une «montée en flèche» de la discrimination, mais aussi dans l’accès aux soins. Victimes parmi les victimes, les femmes portant des vêtements religieux sont plus exposées que celles n’en portant pas et que les hommes. Autrement dit, l’islamophobie qui prétend «libérer la femme» au nom de la «laïcité» contribue en réalité à punir toujours plus les femmes musulmanes et à les exclure du champ social.
L’islamophobie dissimule aussi un racisme biologique anti-arabe. Comme le souligne le rapport : «Les musulmans sont pris pour cible non seulement en raison de leur religion, mais aussi en raison de la couleur de leur peau et de leur origine ethnique ou immigrée». On se souvient des mots de Nicolas Sarkozy qui parlait de «musulmans d’apparence» ou de Bruno Retailleau qui évoque des «français de papiers». L’Islam est devenu un prétexte pour diffuser un racisme biologique acceptable, déguisé en lutte contre la religion, mais toujours la même.
Cette forme de racisme est particulière parce qu’elle vise une communauté qui compte plusieurs millions de personnes en Europe, et qu’elle est institutionnelle et hégémonique dans les médias et le débat politique. Contrairement aux autres formes de racisme, qui sont dénoncés, au moins en apparence, depuis la seconde guerre mondiale.
En France, s’opposer à l’islamophobie est même considéré comme suspect. Le seul grand parti qui prend partie sur ce sujet, c’est la France Insoumise, et elle est accusée en permanence de «clientélisme», d’être le parti des «islamistes» et des «banlieues», ses représentants sont caricaturés en «barbus» et en «terroristes», entre autres. Comme si s’opposer à une discrimination spécifique était honteux !
La participation de la France Insoumise à une «marche contre l’islamophobie» en 2019 leur est encore régulièrement reprochée dans les médias. En avril dernier, une manifestation «contre le racisme et l’islamophobie» avait même été interdite par les autorités. Inversement, pour être accepté et invité sur les plateaux de télévision ou pour faire carrière dans le journalisme, il est quasiment indispensable de frapper, de façon plus ou moins subtile, sur l’Islam et les musulmans. Ce racisme est donc devenu acceptable et même encouragé, alors que le dénoncer est risqué et expose à des campagnes diffamatoires.
En France, rappelons qu’une cagnotte créée pour récompenser le policier qui a tué Nahel, donc pour avoir exécuté un jeune arabe, a récolté plus d’un million d’euros en quelques jours. Rappelons aussi que toute l’extrême droite française a échangé son antisémitisme viscéral par un soutien inconditionnel à Israël. Non pas parce qu’elle aurait changé, mais parce qu’elle déteste plus les arabes et musulmans que les juifs.
Après la dissolution de l’Assemblée Nationale, alors que le RN était annoncé comme grand vainqueur des élections anticipées, la France a été traversée par une explosion de violence raciste. Au moins 35 faits avaient été recensés en quelques jours. Il y a eu des coups de feu aux cris de «mort aux arabes» dans le Gard, par un individu déjà condamné pour des faits de violences et de racisme. Il y a eu une série d’agressions racistes dans l’Hérault par un commando roulant en 4X4. Il y a eu cet homme musulman tabassé sur le pas de sa porte aux cris de «sale bougnoule» dans l’Ain. Il y a eu l’exécution d’un algérien sans abris de 7 balles par un policier hors service, qui a ensuite photographié le cadavre. Il y a eu des militants RN armés de matraques semant le terreur devant une école, et ce chauffeur de bus percuté par un raciste hurlant «sale bougnoule» en région parisienne, ou encore des menaces racistes contre des journalistes, un ado maghrébin tabassé à Rouen aux cris de «gratteur d’alloc», et plusieurs lettres de menaces aux propos fascistes.
Le plus grave étant que cette vague raciste a été passée sous silence par les médias. Cette série de faits aurait dû occuper les sujets d’actualité avant le scrutin. Pourtant, le média indépendant «Arrêt sur Image» avait épluché les Journaux Télévisés de TF1, France 2 et M6, et constaté que ces chaînes, regardées par des millions de personnes, n’ont pas consacré une seule seconde de la semaine à ces actes racistes. C’est un mensonge de masse par omission.
Quant aux tags, vandalisme voire tentatives d’incendie qui visent régulièrement des mosquées, ils font rarement l’objet de plus qu’un entrefilet dans la presse locale, comme s’il s’agissait d’évènements négligeables.
Ces agressions bénéficient également d’une quasi-impunité en justice. Prenons l’exemple d’une affaire qui a eu lieu dans le Val-de-Marne en novembre 2023. Un retraité avait attaqué un jardinier franco-algérien qui nettoyait des branches chez une cliente. L’homme avait proféré des cris racistes avant de planter un coup de cutter dans la gorge de Mourad, causant une plaie très profonde au cou. Si la victime n’avait pas eu le réflexe d’esquiver le cutter, sa jugulaire aurait été tranchée, il serait mort en quelques instants. Le tribunal judiciaire de Créteil avait d’abord relâché le raciste avec un simple contrôle judiciaire, puis l’avait condamné en janvier dernier à «un an de prison» à exécuter chez lui, avec un bracelet. La tentative d’égorgement n’avait même pas été qualifié de tentative de meurtre par la justice.
Cette invisibilisation a aussi lieu au delà de nos frontières. La souffrance indicible des palestiniens n’est jamais montrée dans les médias de masse. Le grand public qui s’informe par la télé n’a pas vu les bébés démembrés par l’armée israélienne, ni la famine, les destructions systématiques, les tirs de snipers dans la tête d’enfants palestiniens, alors que tout est fait pour générer de l’empathie avec Israël. Ce procédé relève du même racisme : le corps de musulmans réels ou supposés est déshumanisé, et la vie d’un «arabe» n’a pas la même valeur dans l’inconscient dominant.
Pour ne rien arranger, il est très difficile de recenser et de rendre visible des données objectives sur ce racisme. Pour cause, l’État français a dissout le CCIF en 2020 – le Comité contre l’islamophobie en France – une association qui recensait les actes islamophobes et accompagnait les victimes en justice. L’organisation était accusée de «provocation à des actes de terrorisme» alors qu’elle n’avait fait qu’apporter un support médiatique et juridique aux victimes d’actes islamophobes.
Le 24 septembre 2021, le Conseil d’État avait validé la dissolution du CCIF, expliquant que «critiquer sans nuance» les politiques discriminatoires du gouvernement français revenait à inciter à la radicalisation et donc à menacer la République. «La lutte contre l’idéologie islamiste franchit une étape décisive», s’était félicité Gérald Darmanin. Plutôt que de prendre en compte ce racisme et chercher des moyens d’y faire face, le gouvernement avait donc fait taire l’association spécialisée sur le sujet.
On tue le messager pour faire disparaître le message.